Dans le cadre de ma participation aux Etats-généraux de l’Antimafia à Rome (2009), voici la communication proposée :

LE TRAFIC DE CANNABIS EN FRANCE (english)

De l’inefficacité des politiques répressives dans un pays où la consommation de cannabis s’est banalisée alors que les peines pour consommation de stupéfiants sont les plus sévères d’Europe.

Préambule :
La jeunesse française n’est pas « à la dérive » mais la consommation du cannabis s’est banalisé et ce malgré la progressive augmentation des saisies de cannabis au cours de ces 20 dernières années.

1. Les faits :

Les sources concernant les filières du trafic de cannabis (la résine et non l’herbe) en France sont peu nombreuses. Elles proviennent de l’OCTRIS (l’office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants) et des Nations Unies. Elles sont essentiellement de nature quantitative parce qu’elles sont établis à partir des saisies1.

De ce point de vu, la France se place à la seconde place de l’Union européenne derrière l’Espagne (670 tonnes saisies en 2005) pour la quantité de cannabis saisi2 :

Les chiffres des saisies :
1990 : 21 tonnes
1997 : 67 tonnes
2004 : 107 tonnes
2005 : 85 tonnes
2007 : 50 tonnes
2008 : 74 tonnes

La quasi totalité de la résine provient du Maroc (pays qui produit 80% de la résine de cannabis fumée en Europe).

Cependant, seule 15% de la résine de cannabis qui arrive en France provient DIRECTEMENT du Maroc3. Les 85% restant proviennent d’Espagne en raison de la position géographique de l’Espagne qui est une lieu de passage privilégié.

La résine suit le parcourt suivant :
Elle est produite dans la région du Rif4 puis arrive dans les ports d’Agadir et de Casablanca pour emprunter la voie océanique ou dans les ports de Tanger et de Nador pour emprunter la voie méditerranéenne.
15% de la résine arrive directement dans les ports du Havre, de Nantes, et de Bordeaux. Le reste de la résine arrive en Espagne par tous les moyens navales possibles (barques de fortune, navires marchands, mini hors-bords…)

Une fois le 85% de la marchandise restante arrivée en Espagne, les trafiquants la font voyager par la route. La majeure partie du cananbis transitent par camion « T.I.R. ». En effet, 57 tonnes saisies de cannabis sur les 85 de 2005 l’ont été sur ces camions.

Les autres tonnes sont en partie acheminées par les « go fast » qui sont un des moyens d’approvisionnement des trafiquants des quartiers dit sensibles en France. Les « go fast » sont les moyens d’acheminement les plus médiatisés ce qui participe à la stigmatisation des « cités » de banlieues.5

2. Le problème : une répression qui concerne essentiellement la vente au détail

Le cannabis est la drogue la plus trafiquée. Il recouvre à lui seule la moitié des interpellations pour trafic de stupéfiants6. Par exemple en 2008, 71% des interpellations concernaient le trafic de cette substance7.

Le problème est que les saisies concernent dans 8 cas sur 10, des quantités inférieures à 20 grammes!

La majeure partie des arrestations concernent des cas de revente au détail voir des personnes qui consomment et revendent, soit 67% des 13.000 trafiquants8.

En 2008, en France les interpellations pour trafic de cannabis par rapport aux précédentes années sont en forte augmentation avec 19.685 interpellations9.

Ce sont donc les réseaux locaux les plus exposés à la répression. Il existe peu de sources quant à ces réseaux, même si une étude propose une typologie en trois catégories10 :

-Le modèle familial
-Le modèle « entrepreneurial »
-Le réseau de proximité, constitué souvent de cessions gratuites.

D’après cette étude, le réseau de proximité est le plus répandu au sein de la jeunesse française, même si ces trois réseaux sont perméables. Les réseaux de proximité peuvent se transformer en modèle d’entreprise et vice et versa.

Ces réseaux locaux d’approvisionnement montre une grande flexibilité face à la répression. En cas de démantèlement d’une structure, la capacité de régénération est très forte.

Le chiffre d’affaires du trafic de cannabis en France est évalué entre 745 et 832 millions d’euros pour l’année 2005. Cette estimation est calculée à partir d’une étude croisée selon les déclarations des sommes dépensées par les consommateurs.11

Pour conclure :

Du point de vue de la santé publique, la banalisation est un problème sérieux. En dépit d’une forte répression, le cannabis est devenu un produit très disponible (très présent sur le marché) et très accessible (facile à trouver).

Du point de vue géo-criminel, derrière les petits et moyens réseaux d’approvisionnement qui subissent la répression, se cache la criminalité organisée française basée en Espagne puisque 3/4 du cannabis saisi, passe par l’Espagne via camions.12
Comme elle est organisée, la répression enrichit le crime organisé français au lieu de l’affaiblir.

Quelques pistes pour améliorer la situation en cliquant su ce lien : Contre les mafias : la régulation publique de la drogue

1 Michel Gandilhon, Abadalla Toufic, Helène Martineau, Povenance et fillière de trafic in Cannabis, (données essentielles sous la direction de jean Michel Costes (2007) Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, 2005, p. 66_72, www.ofdt.fr
2 Octris (Office Central de Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants)
3 OCTRIS, Usage et trafic des produits stupéfiants en France en 2005, Paris, Ministère de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, Direction nationale de la police nationale, Direction centrale de la police judiciaire, 2006, 123 pages.
4 Région du Nord du Maroc où se concentre la culture du cannabis, couvre environ 20.000 m², ce qui représente 2.7% de la superficie totale du royaume du Maroc, et 6% de la population. A cheval sur 5 provinces, elle est traversée d’Est en Ouest par la chaîne montagneuse du Rif.
5 D’après les groupes d’intervention régionaux (GIR), le dispositif anti-trafic créé en 2002, 5.4 tonnes ont été récupérées depuis 4 ans dans les « banlieues » françaises
6 Voir note de bas de page n°3
7 http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/cannabis/offre-1.html#aff_rech
8 En 2005, une proportion qui reste stable depuis la fin des années 1990
9 http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/cannabis/offre-1.html#aff_rech
10 S. Aquatias, « Achat et vente de cannabis au niveau local », in : Cannabis: Quels effets sur le comportement et la santé, Paris, INSERM, Coll Expertise Collective, 2001, p. 403-415
11 Voir note de bas de page n°1. Pages 74-75
12 Voir note de bas de page n°1. Page 64