"L'Union européenne devrait favoriser... l'utilisation des patrimoines criminels confisqués au bénéfice de la communauté" cit. Commission européenne contre le crime organisé

vendredi 28 décembre 2012

FLARE dans Le Monde

Voir le Petit dictionnaire énervé de la mafia
Le crime ne doit plus payer en Corse !

Il faut confisquer les biens mal acquis et les restituer à des fins sociales
  
LE MONDE | 13.12.2012 à 10h35 • Mis à jour le 13.12.2012 à 12h14 Par Vincent Carlotti, ancien maire socialiste d'Aléria et Fabrice Rizzoli, représentant du réseau FLARE et auteur du Petit dictionnaire énervé de la mafia 

Manuel Valls, le ministre de l'intérieur, n'a pas convaincu en lançant aux Corses un appel à rompre le silence : cette déclaration a soulevé une certaine réprobation dans l'île, au point de faire passer au second plan un ensemble de propositions pourtant décisives.

Soyons clairs : pour beaucoup de Corses le rapport de forces n'est pas pour l'instant en faveur de l'Etat, affaibli par un manque flagrant de résultats et par la perte de confiance dans les institutions après la calamiteuse affaire du préfet Bernard Bonnet [il avait été condamné à trois ans de prison, dont un ferme, le 15 janvier 2003, pour avoir ordonné en 1999 de mettre le feu à deux paillotes construites illégalement sur le domaine public].

En face, le crime organisé jouit d'une impressionnante impunité, dispose de moyens financiers importants et sa puissance de feu est de nature à dissuader les plus courageux. Difficile dans ces conditions d'attendre de la  population qu'elle s'engage : d'autant que les messages de scepticisme diffusés par des personnalités parmi les plus influentes, dans la société civile comme dans la sphère politique, sont de nature à pousser une population pauvre et désespérée plutôt dans les bras des voyous, pourvoyeurs d'emplois dans les secteurs qu'ils contrôlent, que dans le giron de l'Etat.

Pourquoi dans ces conditions ne pas signer le décret d'application de la loi sur le statut du "coopérateur" de justice ? Le "voyou" promis à une mort probable se verrait obtenir le droit de vivre, lui et sa famille, en sécurité contre une condamnation et son témoignage aux procès.Assurer la sécurité des gangsters en rupture de ban contribuerait à restaurer l'image de l'Etat de droit et inciterait les populations à lui faire confiance (cf. Le statut du coopérateur de justice : la solution?).

De même, pourquoi ne pas créer un statut de témoin de justice, comme en Italie, pour les victimes de racket, les témoins de meurtre et les membres innocents du clan mafieux qui ont besoin d'être protégés ? Pour ce qui est du savoir-faire on y vient, semble-t-il. Pour ce qui est du faire-savoir, on en est encore loin. Il faut que l'Etat apprenne à communiquer, ce qu'il a du mal à réaliser. Quand la presse interroge un procureur elle se trouve confrontée à la langue de bois, elle se tourne alors vers les avocats de la défense.

Par conséquent la population n'entend que la parole, certes respectable, de la défense faite de critiques des méthodes policières et judiciaires, et se forge ainsi son opinion. Pas étonnant dès lors qu'elle affiche son scepticisme sur l'action de la puissance publique. Il convient donc de mettre en place une confiscation préventive des biens mal acquis (cf. le pdf). Les membres d'une association criminelle et leurs complices, même s'ils ne sont pas poursuivis pénalement, doivent justifier de l'origine légale de leurs biens et de leur financement au risque qu'ils soient confisqués par le tribunal administratif, procédure validée par la Cour européenne des droits de l'homme (cf. ici) .

Lorsque la population prendra connaissance de la confiscation de voitures de luxe et de biens immobiliers dans certaines microrégions de l'île, son regard sur la police et la justice, et donc sur l'Etat, changera sûrement. Il changera plus encore si la population constate que cette confiscation se traduit par une restitution à la collectivité spoliée par les agissements criminels (cf. Exemple). Au lieu de verser dans les caisses de l'Etat les fonds ainsi récupérés, il faudra les investir dans des projets à caractère social au bénéfice des populations des zones incriminées. La maison du gangster doit devenir un centre culturel et social (cf. le théâtre de la légalité).

Enfin, dans une région où la commande publique est très importante, personne ne comprendrait que l'Etat n'exerce pas sa vigilance de manière aussi déterminée qu'il l'a affichée dans le domaine du banditisme, car l'affairisme se nourrit aussi et, peut-être surtout, d'une certaine porosité entre la sphère politique et la grande délinquance.

Le contrôle des marchés publics et le contrôle de légalité des actes publics doivent être plus rigoureux, et les élus comme les fonctionnaires convaincus de détournements de fonds publics doivent être déférés devant la justice : personne ne doit être épargné. S'ajoute à une situation préoccupante la reprise des attentats sur des biens appartenant à des continentaux, accompagnée de la réapparition inquiétante du sigle IFF, "les Français dehors", sur les murs.

Les membres du Front de libération nationale corse (FNLC) ont pendant des années avancé qu'ils constituaient le seul bouclier capable de contenir l'expansion du milieu dans l'île. On sait ce qu'il en est advenu : leur clandestinité est, malgré les apparences, affaiblie, et la pègre comme le crime organisé ont prospéré. En surfant sur la sourde inquiétude qui a saisi les Corses devant la vague spéculative qui nourrit un fort sentiment de dépossession, sinon de spoliation, ils considèrent qu'ils peuvent reprendre la main. C'est une dangereuse illusion : dans la confusion qu'ils ont pris le risque d'instaurer, il n'y aura qu'un seul gagnant, le crime organisé, et un seul perdant, le peuple corse.

Le gouvernement n'a pas tort d'appeler les élus corses à manifester leur condamnation des attentats : il est dans son rôle. Il serait cependant plus audible et plus crédible s'il admettait que les défaillances qui ont caractérisé l'action des pouvoirs publics au cours des dernières années ont pu convaincre la population que les associations, d'une part, et le FNLC, d'autre part, étaient les seuls à "faire le job".

Il affirme vouloir combattre ces agissements ? Qu'à cela ne tienne, il lui suffit de mettre sérieusement au travail son administration, de passer au peigne fin les plans locaux d'urbanisme, les permis de construire délivrés dans les zones sensibles, et il pourra réduire au chômage les uns et les autres ! Dans une île qui est, contrairement aux idées répandues ici ou là, éprise de justice, les pouvoirs publics sont condamnés à réussir : un échec aurait des conséquences considérables sur l'opinion publique et contribuerait à déchirer plus avant les liens de la Corse avec la République.

Vincent Carlotti, ancien maire socialiste d'Aléria et Fabrice Rizzoli, membre de FLARE (Freedom, Legality and Rights in Europe) à savoir le Réseau européen associatif contre le crime organisé transnational, il est l'auteur du "Petit Dictionnaire énervé de la mafia" (éd. l'Opportun, 222 pages, 12,90 €). 

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